La tempête diluvienne frappait Moscou depuis quelques instants seulement que déjà la ville plongeait dans une profonde obscurité. Les nuages superbes et majestueux surplombaient les allers et venues de la populace, témoignant de la puissance des éléments sur la vie des mortels. Chacun rentrait chez soi attendre que le froid et le bruit assourdissant de la pluie cessent. L’odeur du sol humidifié commençait à se répandre à travers la ville, et le son, intense, continu, couvrait la fuite des rats dans les égouts de la ville ; masquant la course des clochards vers un refuge de fortune ; mais ne parvint pas à empêcher les cris de Marina Moskalyova percer le déchaînement des forces de la nature.
C’était seule dans son semblant de salle de bain qu’elle subissait le poids de sa vie de femme. Elle tremblait de froid et de peur, les jambes écartées elle hurlait, dussent ses cordes vocales se briser. Le sang coulait de son bas ventre, remplissant encore et encore cette baignoire puante, et plus il coulait, plus elle hurlait. Jusqu’à ce que la source du mal arrive enfin.
Vladimir est né ce 14 Juin 1984, son père, Sergueï Moskalyov a fui le communisme 6 mois plus tôt, laissant là sa mère, dans un taudis sans nom de Moscou.
La tempête se calmait ainsi que l’angoisse de Marina. En essuyant ses larmes et son sang, elle décidait de garder cet enfant, d’en faire un homme, un vrai comme elle n’en a jamais connu.
Les années qui suivirent furent meilleures pour cette mère et son fils, son travail de serveuse le jour fut complété d’une place de cuisinière dans un petit restaurant de la capitale. Vladimir grandissait normalement, Marina lui enseignait l’amour de Dieu et le respect d’autrui du mieux qu’elle le pouvait, à défaut de pouvoir lui assurer une vie de quiétude véritable, et il semblait s’en contenter, il disait même aimer sa vie. Elle le surprenait de temps en temps à prier dans sa chambre, remercier le bon Dieu de se sentir si bien, elle glissait parfois une larme, parfois elle souriait simplement.

C’est durant l’été 2000 qu’elle fut assassinée.

La Russie entière vivait sous la crainte d’un tueur en série depuis près de 8 ans, le nombre insuffisant d’indices ne permettait même aucune hypothèse quand à l’identité du tueur. Mais une chose était sûre, il était à Moscou. Un vent de panique souffla sur la ville, traversant les ruelles, tournoyant sur la Place Rouge… et s’engouffrant dans les entrailles les plus obscures de Vladimir. Sa mère fut la treizième victime du tueur, Vladimir avait alors 16 ans.

Le brouillard immense que la jeunesse formait devant ses yeux commença à se dissiper, sa seconde naissance, sa véritable naissance, commença. Vladimir pleura encore et encore, son cœur abandonné saignait au fond de lui-même. Et son âme pénétra les ténèbres de ce monde, laissant place à des plaies toujours plus béantes, des plaies que rien ne pourra jamais panser.
Comment pouvait-il encore faire confiance à ce Dieu ? Cet ingrat omnipotent n’eut que faire de sa pauvre mère, béni chaque jour à outrance il la laissa crever comme un rat ! Vladimir ne voulait pas, ne voulait plus gâcher sa vie de cette manière. Et ce tueur multirécidiviste, pourra-t-il jamais laver l’affront qu’il fit à ce jeune russe ? Non bien sûr ! Egoïste monde, stupide monde !

Quelques jours après le drame, Vladimir fut placé dans une famille d’accueil à Noginsk, à quelques kilomètres de Moscou.
Il s’enfuit la nuit même.
Des recherches furent effectuées pour le retrouver mais elles s’estompèrent bien vite, après tout en Russie, un clochard de plus ou de moins… tout le monde s’en fichait.

Six ans durant, Vladimir courut le pays, en mouvement perpétuel. Qu’importe le temps et le lieu, il traquait le tueur, il le retrouverait et le tuerait. Il revint quelques temps à Moscou puis partit pour Riazan, descendit à Toula, remonta à Nizhniy Novgorod… Voyageant selon le bon vouloir des gens qui le prenaient en stop, ou suivant le nom de la ville qui figurait sur le billet de train qu’il venait de voler, bien que celui-ci ne corresponde que rarement à l’endroit où il désirait se rendre. Cela ne le dérangeait pas au début car il devait s’entraîner avant d’affronter le diable, mais le temps passant, il suivait des pistes, et ne pouvait plus se permettre d’avancer à l’aveugle. Il commença à voler voitures et motos, apprenant sur le tard la manière dont elles se conduisaient.
Le tueur intensifia ses activités à partir de 2001, avec onze victimes en moins de deux ans, puis sept nouvelles en 2003.
Après trois ans de cavale, Vladimir était devenu un clochard aguerri, il ne travaillait pas, il n’a d’ailleurs aucune autre formation que celles qu’il a apprises à cette époque là, à savoir la mendicité, le vol, la vie de sans abri, le combat de rue – certaines personnes refusaient de se laisser voler – et bien sûr la haine.
Vladimir fonctionne au mépris de l’espèce humaine, les injustices ont bercé sa vie, le flot ininterrompu de malchance et de misère conditionna son existence. Il n’aime rien en ce monde, ni ces gens, ni cet ombre qui voile le ciel et que les imbéciles appellent Dieu.
Il développa durant son exil un désir de vengeance envers ce tueur en série, une sorte de répulsion physico-mentale qui le maintint en vie. Il voulait le tuer, c’était le principe même de son existence, poursuivre et assassiner la bête.
Mais la bête semblait inaccessible, Vladimir arrivait toujours trop tard dans les villes, parfois même trop en avance, le mort en question n’arrivant que quelques semaines plus tard, lorsque Vladimir était déjà loin.
Le temps passant il fut pris de plus en plus régulièrement de crises incontrôlables, tombant les genoux à terre il se tordait dans tous les sens comme un ignoble vers rampant que l’on écraserait. Les passants écœurés lui jetaient une pièce sur la tête, les plus blasés faisait mine de ne pas le voir mourir. Car il mourait. Jusqu’en 2006 Vladimir n’eut de cesse de poursuivre le monstre.
Le Jeudi 27 Août de cette année, la quarante-huitième victime fut révélée au public. Le nom du tueur suivit trois jours après.
Les mains tremblantes, le front couvert de sueur, Vladimir saisit un journal laissé à terre. Il avait eu vent de la nouvelle en marchant dans les rues de Voronej.
Le tueur s’appelait Alexander Pichushkin, le journal lui était entièrement consacré, des interviews de policiers agrémentaient des articles miteux sur la vie du meurtrier, des photos de cadavres s’étalaient sur plusieurs pages, et en grand sur la première de couverture s’affichait la photo du désormais célèbre meurtrier. Vladimir connaissait déjà toute l’affaire, il l’aurait raconté bien mieux que ces consommateurs de papier. Mais cela lui importait peu aujourd’hui, il la tenait sa bête, la police venait de lui tendre sur un plateau d’argent sa vengeance, celle qu’il attendait depuis six ans maintenant.
C’était le Lundi, Vladimir monterait à Moscou le Jeudi, pour l’attendre et le tuer, dusse-t-il être envoyé en prison pour toujours. Pichushkin devait être jugé Vendredi.
Mais le meurtrier se coupera la langue le lendemain dans sa cellule, il mourra étouffé quelques minutes plus tard. L’annonce de sa mort provoqua plus d’amertume et de dégoût dans le pays que de soulagement. Certains le disaient lâche et médiocre, d’autres pensaient que c’était une bonne chose de faite. Vladimir ne disait rien.
Le souvenir de sa mère morte dans son cercueil, le visage défoncé à coup de bouteille d’alcool lui revenait en mémoire chaque nuit quasiment, mais ce soir, il n’y avait rien en son esprit. Voila quelques heures qu’il savait ce qu’il s’était passé à Moscou et il n’avait réagi à aucun moment. Il s’allongea à 20h sur un banc, près d’une poubelle débordante d’immondices, il se réveilla le lendemain matin avec le soleil. La Russie était déjà passée à autre chose.

Vladimir a mis sept mois pour se remettre du décès de sa mère, il mit près d’un an et demi pour celui de Pichushkin. Pendant cette période il n’eut de cesse de ressasser encore et encore les souvenirs qu’il connotait au tueur, cela représentait pour ainsi dire l’ensemble des souvenirs qu’il avait accumulé ces six dernières années. Les poursuites, les crises, les trains, de la Russie profonde jusqu’au devant de la petite Europe il avait voyagé pour le retrouver ce salaud ! Et voila qu’il se suicide ! Egoïste monde, stupide monde !
Mais le temps, inexorable, aussi lent que rapide, passe pour tout le monde.

Vladimir a eu vingt-cinq ans il y a quatre mois, il se trouve près de Perm. Sa mère est morte depuis neuf ans maintenant, sa raison de vivre depuis trois ans, et son esprit depuis un peu plus d’un an.
Il n’est plus qu’un corps sans vie marchant dans les rues, trouvant dans les poubelles ce qu’il lui faut pour subsister jusqu’au soir, récupérant les quelques nourritures laissées par les heureux crétins, vivant leur vie de soumission, d’esclave de la société. Mais au fond Vladimir les enviait, eux au moins vivaient pour quelque chose, lui n’avait plus rien, ni famille, ni amis, ni but. Mais tout cela n’aurait bientôt plus d’importance, il en avait assez de ce monde, assez de jouer les miséreux, il voulait en finir. Il se dit qu’un jour où il ferait sombre en son âme, il n’hésiterait pas à se jeter d’un toit.

Mais le destin frappa à nouveau. En Novembre 2009, alors même qu’il s’enfonce de plus en plus dans les méandres d’une vie futile, une vie de pantin désarticulé qu’un vieux marionnettiste aurait jeté au feu, il apprend que quatre cadavres ont été découverts à Saint Petersbourg. Vladimir se moque bien de ce genre d’évènements, dans une ville aussi immense que celle là il n’est pas rare de que des règlements de compte aient lieu, même si dans cette histoire ci des enfants sont impliqués… Qu’importe.
Cinq jours plus tard, tandis que Vladimir marchait dans la rue l’après-midi, des conversations de passants effarés l’interpellèrent. Une histoire de survivants visiblement. Ce n’est qu’en passant devant un marchand de journaux qu’il prit connaissance des faits, faisant mine de vouloir acheter le journal il commença à le feuilleter.
Ses yeux s’animèrent d’une vive agitation, grands ouverts, presque larmoyants, il comprenait ce qu’il se passait à Saint Petersbourg.
La deuxième ville du pays avait l’exclusivité d’un nouveau tueur en série.

La confirmation lui vint le 12 Novembre avec la cinquième victime mutilée.
Trois ans après Pichushkin, la pauvre Russie subissait déjà une nouvelle attaque frontale, un séisme interne qui semblait cette fois encore plus prolifique quant au nombre de victimes que le précédent. Cinq en seulement douze jours !
Depuis l’annonce officielle de cette nouvelle Vladimir ne tenait plus en place, il tremblait comme un gosse devant un pistolet à eau qu’il viendrait d’avoir en vacances :
-J'te tuerai fils de pute.

Il mit près de cinq semaines à arriver à Saint Petersbourg, les voitures facilement accessibles devenant une denrée rare il dut se contenter de saccader son voyage. Empruntant d’abord l’arrière d’une camionnette puante ramenant de Tcheliabinsk à Kazan les touristes fauchés ou détroussés par des gens comme lui, il parvint à se glisser, au milieu d’autres occupants indésirables, dans un wagon de train de marchandises, convoyant de la nourriture mal entreposée et probablement indigeste dans diverses villes du pays. Il y fut éjecté quelques heures plus tard lors d’un contrôle de qualité de la viande, prenant soin d’emporter discrètement avec lui autant de cette rare alimentation que ses bras et ses poches eussent pu contenir, profitant du désemparement des surveillants face à la révolte des quelques personnes présentes avec Vladimir. Après divers aides, il arriva à Novgorod. Il se décida à marcher jusqu’à Saint Petersbourg.
La fatigue lui importait peu, bien qu’elle faillit le mettre plusieurs fois à terre lors de son périple la quête était trop importante pour reculer devant si peu d’adversité. Il ne dormait quasiment pas, les quelques villes qu’il traversait lui servaient pour la plupart du temps de cantine, parfois de couchettes, souvent de revue de presse.
Lorsque Vladimir entendait parler du tueur son corps tremblait à l’écoute de cette douce mélodie, comme un chant magnifique qui vous mettrait en transe, dans une transe telle que l’espace-temps disparaît devant la dimension de la chose créée. Vladimir aimait ça, Pichushkin, Russian Roulette, il n’y avait pas de différence pour lui, les deux avaient tué, les deux devraient payer, il se vengerait sur l’un des meurtres de l’autre. C’est Russian Roulette qui paiera pour sa mère.

Il arriva à Saint Petersbourg le 4 Janvier plein de hargne et de haine, le précédent lui avait échappé, il était prêt à risquer sa vie pour que celui là finisse entre ses mains.

Des mois durant Vladimir resta dans l’ombre de Saint Petersbourg, se faisant remarquer le moins possible il n’était pour les habitants qu’un autre sans-abri, un de plus, rien de plus. Trouver à manger n’était pas un problème pour lui, dormir non plus, la chose la plus difficile était de traquer l’invisible. Nous sommes en Juillet 2010, depuis plus de 7 mois il suit secrètement des pistes, cherche comme un chien la fameuse chambre où Russian Roulette condamne ses victimes.
Il ne s’intéresse qu’à cela et personne ne semble s’intéresser à lui, mais tout peut changer suivant son bon vouloir...

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