RUSSIAN ROULETTE
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 « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena

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AuteurMessage
Sevastjan Raczynski

Sevastjan Raczynski

▬ COPYRIGHT : © BURNING SWORD
▬ JOB : ancien agent du FSB
▬ CURRENT MOOD : deadly mind
▬ CURRENT MUSIC : ain't no sunshine (anytimes she goes away) • bill withers


will you ever see another sunrise ?
▬ AGE DU PERSONNAGE : trente-cinq ans
▬ QUARTIER D'HABITATION : Kupchino
▬ IF YOU PLAY, YOU PLAY FOR KEEPS :

« Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Vide
MessageSujet: « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena   « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Icon_minitimeSam 5 Juin - 4:05

« Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Sanstitre3bq
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La dernière fois que l'esprit du laconique Sevastjan s'était égaré avant tant de véhémence... n'existait pas. Et, comme tous ces êtres qui ne comprennent rien de leur torture avant de l'avoir vécue deux fois, il s'en trouvait désarmé, et parfois même complaisant. Il était impossible de transiger avec la souffrance, avec cette douleur psychique qui dévore les entrailles et les creuse en une abîme dont la profondeur ne serait pas même imaginable pour l'esprit le plus fantaisiste qui soit. Dans cet état de léthargie sournoise, l'ancien agent errait dans son appartement rongé par les années, le vice et l'acceptation de ce que, par faiblesse et renoncement, on nommait Le Destin. Et si cela faisait plusieurs semaines maintenant qu'il ne donnait plus l'impression de vivre réellement, cela ne faisait que quatre jours, et trois nuits, qu'il s'était enfermé chez lui, portes, fenêtres et volets clos, bâtissant dès lors une forteresse aussi impénétrable que l'injustice régnant dans le quartier. Nul n'entrait depuis, et nul ne sortait non plus. Si cette sordide histoire ne s'était pas déroulée dans le quartier le plus populaire - et il fallait entendre par là, le plus miséreux, dangereux et laissé pour compte - de Saint-Pétersbourg, probablement quelqu'un se serait-il inquiété de pareille autarcie. Oui, probablement. Encore qu'on ignorât l'incertitude des temps qui filaient.

D'avoir grandi dans les rues sinueuses de Kupchino, Sevastjan n'ignorait rien de l'indifférence pesante dont chacun était bordé. Il avait été éduqué - ou élevé, selon l'âge - en ces lieux, avait connu ses plus drames et probablement aussi ses plus grandes joies. Il y avait connu l'amour et la haine, l'espoir et la déception, la vie et la mort, la réussite et l'échec. Tout cet endroit lui rappelait avec une vigueur assassine d'où il venait, le chemin qu'il avait mais, également, les choix qu'il avait faits. Celui de ne rien renier. Celui de persévérer. Celui d'aider autrui. Celui d'aller jusqu'à la plus profonde abnégation, de se donner, encore et encore, sans égoïsme et sans retenue, sans pudeur et sans méfiance en espérant avec une candeur presque infantile qu'un jour, rien qu'un seule jour, une seule fois, pendant quelques minutes, quelqu'un ou quelque chose aurait la providence d'âme... de le lui rendre.
Chienne d'existence ou seul retour des choses, on ne lui avait jamais rien rendu.

Pas de police. Pas d'amis. Pas de famille. Ou plutôt plus. L'élémentaire édifice que Sevastjan avait bâti à la sueur de son front avait semblé s'effondrer en quelques mois et, s'il n'accusait jamais la Justice, la Vie ou les Autres, il se sentait incapable d'éprouver tant de culpabilité et de respirer en même temps. Comme une lente suffocation qu'on ne peut que savourer, tant acteur que spectateur, Sevastjan était le triste tragédien et amateur de théâtre de sa propre déchéance et agonie, peu reluisante décadence d'un homme que, jadis, on avait cru éminent. De là naissait tout le mal que certains avaient de croire qu'en élevant un homme au rang d'un dieu, il ne retomberait jamais parmi les siens.
Toujours, toujours, ils retombaient. Et ainsi était-il retombé.

Mourir ne demande aucun courage. On épuise tout ce qu'on en possède à vivre.

Quand sa silhouette se fraya un chemin dans la puanteur âcre de son appartement, Sevastjan sentit flotter autour de lui un amer parfum de souvenir. Son esprit, malmené par d'âpres combats entre réalité et fiction, affrontait des démons venus d'autres temps et d'autres lieux. D'insurmontables démons. Dans la noirceur des lieux à peine chahutée par quelques raies de lumières blanches au rythme des voitures défilant en contre-bas de la rue nappée d'obscurité nocturne, son cœur sembla cesser de battre un instant. Ses paupières se fermèrent. Les images défilèrent devant ses yeux à un rythme infernal qui condamnèrent son poing à se resserrer davantage.
Quand il trouva la force d'inspirer de nouveau, ce fût pour défaire la sécurité de son révolver. Quand Sevastjan eut comblé chaque chambre, le barillet roula et claqua sèchement. Le métal froid était corrosif sur sa peau brûlante mais aucune sensation n'en revenait à son cerveau. Rouvrant les yeux en même temps qu'il armait le chien, son souffle se coupa. Même son cœur trouva la sérénité d'un rythme approprié. Quand il leva le bras, les doigts enfermant fermement la crosse striées, rien n'aurait pu l'arrêter.

Quand les vapeurs de poudre s'élevèrent enfin dans l'appartement, chaque détonation avait déjà retenti. Une fois. Puis deux. Et la troisième fût engloutie par par le premier coup des trois heures de la sonnante église orthodoxe du bout de la rue. Dans l'appartement d'à côté, il y eut un cri. Deux étages en-dessous, la concierge s'éveilla et, l'oreille alerte d'un ancienne communiste convaincue, se tira de ses draps pour s'emparer du pistolet dissimulé sous le matelas. Au-dessus, il y eut comme le bruit d'une chute, sans qu'on n'eut su distinguer s'il s'agissait d'un individu ou d'un objet. En vérité, tout l'immeuble sembla s'éveiller. Quelques secondes seulement. Oh oui, seulement quelques secondes.
Après tout, chacun d'entre eux savait que le locataire de l'appartement 105 B n'avait que des raisons d'anéantir dans la violence d'une arme à feu l'objet de ses tourments. Et, pour les autres, c'était comme s'il était déjà mort.
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Ielena Kuznetsova

Ielena Kuznetsova

▬ COPYRIGHT : Cookie Dough
▬ JOB : coursier/livreur ~ voleuse
▬ CURRENT MOOD : « Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne... »
▬ CURRENT MUSIC : am i that easy to forget ~ Tara King Th


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« Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Vide
MessageSujet: Re: « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena   « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Icon_minitimeJeu 10 Juin - 2:07




    La nuit était tombée sur Saint-Pétersbourg, froide et limpide, et peu à peu Kupchino s’éveillait. Si le jour, les rues de Kupchino étaient désolantes de pauvreté, avec ses petits appartements empilés les uns au-dessus des autres où s’agglutinaient des familles entières et des étudiants sans-le-sou, rares étaient ceux qui osaient s’y risquer une fois la nuit tombée, car dès lors que le soleil disparaissait derrière l’horizon surgissaient les plus viles créatures de ces bas-fonds. Petits malfrats et criminels en tous genres s’habillaient de ténèbres pour s’en aller distiller le mal ; des femmes de petites vertus attendaient dans l’embrasure d’une porte, bouche peinte et œil charbonneux, tandis que le manque faisait sortir de leur cachette des âmes de malheur rongées par la drogue. C’était de ces lieux sordides où proliféraient les rats, les bandits et les mourants, un océan d’indigence et de vulgarité où l’on ne s’aventurait jamais que pour rechercher le vice.

    La seule source de lumière provenait d’une petite lampe de chevet qui déversait une lueur douce et tamisée. Un lit trônait au milieu de la modeste chambre, et les draps défaits laissaient penser que celui qui s’y était allongé avait été arraché au sommeil en plein milieu de la nuit. Parfois, une voiture passait à vive allure et illuminait la pièce d’une lumière blafarde, avant de disparaître dans un crissement de pneu à l’angle de la rue. Le front appuyé contre la vitre glacée, Ielena observait la nuit étendre son voile sur la souffrance du quartier le plus pauvre de la ville. Son esprit errait au gré des notes de musique qui lui parvenaient d’un étage supérieur, et elle s’amusait à imaginer la vie derrière les façades grises des immeubles délabrés qui s’enchevêtraient, comme construits les uns sur les autres. Chaque appartement renfermait une histoire, un drame, une douleur. Un homme et sa solitude que la nuit apaiserait ou rendrait plus pesante encore.

    Son attention fut attirée par une silhouette sombre qui venait de surgir de nulle part avant de s’évanouir de la même façon, comme happées par l’obscurité. D’après la forme, il ne pouvait s’agit que d’un enfant. Les truands les envoyaient mendier auprès des touristes et allaient parfois jusqu’à les utiliser, du fait de leur taille et de leur adresse, pour les faire s’introduire chez des particuliers afin de s’emparer de leurs quelques économies ; en échange de quoi ils leur offraient le sentiment d’appartenir à une grande famille, ce qui n’était pas sans séduire ces enfants qui depuis longtemps avaient vu leurs rêves et leurs espoirs destitués. La plupart avaient abandonné l’école, certains avaient perdu un de leurs parents ou bien ceux-ci ne trouvaient plus le temps ni l’énergie de s’en occuper, tant usés ils étaient par la morne existence, toujours austère et souvent très pénible, qu’ils menaient. Puisque l’idée même d’avoir un destin personnel n’avait plus de sens, appartenir à un groupe leur apportait le sentiment d’exister, d’être utile. Alors que Ielena suivait des yeux la petite tache sombre qui se coulait d’ombre en ombre, elle se remémora la petite fille qu’elle était, sa candeur, ses taches de rousseur, et l’insolence dont elle faisait preuve à l’égard des adultes. Tout bouillonnait en elle, même son sang qui lui montait au visage chaque fois qu’elle était amoureuse ou qu’elle mentait… Ces enfants étaient elle. Ils étaient son enfance et son passé, la faim et la peur, le deuil. Ils n’avaient pas de nom, pas de lueur dans leurs yeux.

    « Rien ne dit que l’enfer flambe, pensa Ielena. L’enfer pourrait très bien ressembler à cela. Un monde gris et froid tout de béton et d’acier. » Mais ce monde était le sien, celui où elle avait grandi et celui où elle demeurerait à jamais, parce qu’elle y était comme enlisée, incapable de fuir, et puisque de toute façon elle n’avait nulle part où aller. Personne ne voudrait d’elle ailleurs qu’entre ces quatre murs. Elle déplorait seulement de n’avoir pu offrir une vie plus douce à sa sœur ; elle méritait tellement mieux, la meilleure éducation possible, les meilleurs soins, tout l’amour et la prospérité dont elle avait besoin pour s’épanouir. Quelque part, Ielena avait le sentiment d’avoir failli dans son rôle d’aînée ; bien sûr, elle avait fait du mieux qu’elle avait pu, mais elle s’en voulait de ne pas avoir su la préserver de cette réalité effroyable et miséreuse.

    Il lui fallait un thé. Prenant soin de ne pas réveiller sa sœur qui dormait à poings fermés, Ielena se dirigea vers la cuisine sur la pointe des pieds. Tout était calme alentours, on ne percevait que le son étouffé des notes de piano qui venaient de l’appartement du dessus. Elle s’appelait Véra et elle avait été une pianiste talentueuse à qui l’on destinait une grande carrière. Et puis un jour, l’homme qu’elle aimait avait été appelé à rejoindre les rangs de l’armée. C’était il y a plus de trente ans, et personne ne l’avait revu depuis ; mais elle continuait à l’attendre, jouant chaque soir son air préféré avec l’espoir qu’il finirait par réapparaitre. Pendant que l’eau commençait à bouillir, Ielena se hissa sur la pointe des pieds pour attraper un sachet de thé sur une étagère. Elle versa l’eau frémissante dans une tasse, et alors qu’elle s’apprêtait à regagner sa chambre, une détonation retentit, aussitôt suivit d’une seconde. La tasse lui échappa des mains pour se briser en morceaux sur le sol carrelé de la cuisine. L’espace d’une seconde, l’immeuble tout entier sembla retenir sa respiration : Véra ne jouait plus et on eût dit que les murs eux-mêmes s’étaient tus pour écouter. Figée de terreur, Ielena attendait, l’oreille tendue, et c’était à peine si elle respirait, à peine si son cœur battait encore. Et puis, la vie reprit son cours. Le clocher sonna deux heures, les chiens se remirent à aboyer et quelque part dans l’immeuble, un nourrisson se réveilla en pleurs. Sans se soucier des portes qui s’entrebâillaient et des questions qui fusaient dans les étages pour savoir ce qui avait bien pu se passer, Ielena traversa le corridor en courant jusqu’à arriver devant l’appartement de l’ancien agent du FSB.

    - Sevastjan, cria-t-elle en tambourinant contre la porte. C’est moi. Je t’en prie, ouvre !..

    Comme personne ne lui répondait, elle tenta de tourner la poignée avec l’espoir absurde que la porte allait s’ouvrir, seulement, comme il fallait s’y attendre, celle-ci était verrouillée de l’intérieur. S’exhortant à réfléchir, Ielena s’efforça de rassembler les souvenirs qu’elle gardait de l’appartement de son ami. Il n’était pas très différent du sien dans l’agencement des pièces, avec deux fenêtres donnant sur la façade ouest de l’immeuble, et… les escaliers de secours ! Elle revint en courant jusqu’à sa chambre et sortit de sous le lit un grand sac de toile noir qui contenait tout le matériel dont elle avait besoin pour mener à bien ses cambriolages. Elle hésita une petite seconde avant de s’emparer d’une corde, de mousquetons et de ce qui ressemblait à une grosse perceuse. Une fois ouverte la fenêtre de son petit salon, elle jeta un regard en contrebas : cinq étages la séparaient de l’asphalte. Elle déglutit avec peine.

    L’escalier de secours avait été condamné huit ans plus tôt lorsqu’une partie s’était effondrée, le froid et les intempéries ayant endommagé les fixations et aujourd’hui, il n’en restait que quelques pans rouillés qui menaçaient de s’écrouler. Ielena s’empara de la corde et profita d’un pilier qui s’érigeait dans son salon pour l’attacher d’un nœud solide. Elle enjamba ensuite le rebord de la fenêtre et très lentement, se laissa tomber en arrière pour descendre en rappel les quelques mètres qui la séparait de l’escalier de secours. Lorsqu’elle atteint la passerelle, elle sentit toute l’architecture métallique osciller dangereusement ; il y eut alors un crissement strident et toute l’ossature de l’escalier glissa de quelques centimètres, si bien que l’espace d’un instant, elle crut que tout allait s’écrouler. Mais la passerelle finit par s’immobiliser. Une petite bordure, essentiellement d’aspect décoratif, longeait la façade sur toute sa largeur ; en la suivant, elle pourrait rallier les fenêtres de l’appartement de Sevastjan. La bordure était cependant si mince que Ielena ne pouvait y poser que la pointe des pieds. Il y eu une petite détonation et le bruit d’un piquet qui s’enfonce dans la pierre : avec le perforateur, elle venait d’enfoncer dans le mur une tige de métal de quelques dizaines de centimètres afin de pouvoir s’y agripper. Il y eut une autre détonation et un deuxième piquet fut planté. Elle progressa ainsi assez rapidement le long de la bordure. A un moment cependant, la pierre s’effrita sous ses pieds et Ielena manqua de basculer dans le vide. Elle se rattrapa de justesse à un piquet qu’elle venait de planter et parvint à se redresser. Sevastjan avait pris soin de fermer les volets et en dépit de tous ces efforts, la cambrioleuse qu’elle était ne parvint à les ouvrir. Il ne lui restait plus qu’à essayer la fenêtre de la salle de bain. Avec un peu de chance, elle serait suffisamment mince pour pouvoir s’introduire par là. Utilisant les quelques piquets qui lui restaient pour former une sorte d’escalier, elle grimpa jusqu’à la petite fenêtre et d’un coup de coude, elle cassa la vitre.

    L’appartement était plongé dans l’obscurité. Seules quelques raies d’une lumière blafarde filtraient à travers les persiennes, et d’où elle se tenait, Ielena pouvait voir un mélange de poudre et de poussière flotter à travers le halo de lumière. Le silence l’enveloppait, l’étranglait presque ; elle sentit quelques gouttes d’une sueur glacée couler le long de son échine. Elle ignorait combien d’individus se trouvaient là, et surtout la raison de ces coups de feu. Sevastjan s’était mis à dos la mafia lorsqu’il l’avait protégée de quelque proxénète qui souhaitait l’acquérir, seulement elle doutait qu’ils aient attendu quatre ans pour se venger. Le FSB ? Depuis le meurtre d’Anya, l’agence voyait en lui un de ses ennemis les plus redoutables et nul doute qu’ils cherchaient à l’éloigner de cette affaire. Le nom de Russian Roulette effleura alors son esprit, mais Ielena réfuta cette idée aussi vite qu’elle lui était venue : ce n’était pas la mode opérateur du psychopathe, celui-ci avait l’habitude d’enlever ses victimes. Alors qui ? L’image de Sevastjan gisant à même le sol, le poitrail arraché par le plomb se dessina dans son esprit, et Ielena sentit son sang se glacer.

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Sevastjan Raczynski

Sevastjan Raczynski

▬ COPYRIGHT : © BURNING SWORD
▬ JOB : ancien agent du FSB
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« Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Vide
MessageSujet: Re: « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena   « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Icon_minitimeMer 23 Juin - 11:42

Le canon de son arme collée à la cuisse, Magdalena Nievditz, concierge de l’immeuble depuis près de trente ans, se remémora les années soviétiques. La peur. Le sang. Les volets fermés. Et les rues désertes. A mesure que ses pieds gravissaient les marches malgré elle, elle voyait son esprit s’engorger de souvenirs plus violents les uns que les autres. Père. Mère. Mari. Enfants. Ce pays lui avait tout pris. Jusqu’à sa mobilité, se souvenait-elle en tirant sur sa jambe gauche lorsqu’elle fût parvenue au premier étage. Les révoltes étaient fourbes. Inutiles. La pauvreté n’était remerciée que par sa sœur, la misère. Nul ne se souciait de tout cela. Nul ne se souciait des prolétaires comme elle qui, toute la semaine, multipliait les labeurs dont le premier tribut était la dignité et le dernier salaire l’indifférence. La guerre. L’anarchie. L’ordre. Magdalena avait tout connu. En soixante-seize ans, elle avait vu défiler des générations de famille aux histoires toutes plus sordides les uns que les autres.

Mais il y avait l’histoire des Raczynski. On les prétendait de l’exode tchétchène de 1944, après les révoltes durement réprimées par Staline à l’époque. Discrets. Secrets. Sectaires. Le temps avait fini par leur faire une réputation d’individus moins fréquentables encore que les juifs d’Allemagne. Réussite moyenne mais courageuse. Providence peut être trop clémente. Justice sociale relative. Quoi qu’en faibles quantités, de l’argent circulait toujours entre leurs murs. A l’heure du Communisme, on les traita donc en partisans - et leur extrême pauvreté sembla devenir de l’ordre du martyr. Connus pour de réguliers mariages consanguins de génération en génération, personne ne s’étonna guère de leur nombre d’enfants mort-nés. Presque tous connurent des morts précoces. Des maladies difficiles. Des accidents dramatiques. On ne vit jamais le moindre d’entre eux s’élever dans sa condition… sans retomber, un jour ou l’autre. Quel que fût le dieu que les ancêtres Raczynski avaient contrarié, celui-ci n’accorda aucune bénédiction à leur descendance…
De sorte que Magdalena, quoi que très fière d’avoir vu l’ultime descendant de cette maudite mais sacrosainte famille prendre son envol, n’eut aucun tressaillement à le voir revenir agoniser dans l’immeuble même qui avait accueilli ses premiers jours. Si elle avait vu Sevastjan Raczynski grandir dans ces escaliers, si elle avait espéré le voir fuir le tragique destin de cette famille au cœur rude et obscur comme le charbon tiré des mines, elle n’avait pas eu la candeur de croire que jamais, comme ses ancêtres, cet homme ne se consumerait.

Certes pas. Comme tous ses aïeux avant lui, Sevastjan semblait prêt à recevoir son destin. Prêt à l’accepter. A l’épouser. Et toute l’affection d’une vieille concierge pour un enfant des rues n’y changerait rien. D’ailleurs, alors même qu’elle traînait sa pauvre jambe jusqu’à la porte de l’appartement 105 B, Magdalena Nievditz dut admettre qu’elle avait attendu ce jour, comme la Russie savait attendre le Printemps.

De l’autre côté de la porte, de la poudre ou de la poussière, nul n’aurait su dire ce qui traînait dans l’air et s’insinuait ainsi dans la gorge. Les picotements s’enfonçaient jusqu’aux poumons, les obstruaient d’un léger voile dérangeant qui, tout au plus, poussait au toussotement, à moins d’y avoir été plongé depuis près de trente-cinq ans.
La silhouette de Ielena sinuait dans l’appartement en soulevant, ça et là, de légers nuages qui s’évaporaient presque aussitôt dans l’incandescence des faibles raies de lumières encore présentes. Le sol jonché de déchets en tout genre, ses pas semblaient pourtant trouver l’exact chemin pour n’en heurter aucun. Elle déambulait comme la cambrioleuse qu’elle était. Comme une vulgaire chapardeuse qui se serait fortement trompée de cible. Il n’y avait aucun bien à soutirer en ces lieux. Tout au plus un révolver. Mais… même les armes avaient une moindre valeur dans ce quartier où elles coulaient à flots. Non, il n’y avait bien qu’un impérieux motif relatif à l’affect pour conduire la jeune, belle et tortueuse Kuznetsova à s’introduire de la sorte, et par effraction, dans l’appartement de l’ex agent du FSB, Sevastjan Racsynski.

Fendant souplement l’obscurité, le bras rallongé par la portée d’une arme à feu vint écourter l’épopée téméraire de la jeune pétersbourgeoise. Lorsque le canon se déposa avec une délicatesse chirurgicale sur la tempe de Ielena, il y eut comme un vent froid pour parcourir chaque pièce du sordide appartement, tel un râle venu des tréfonds de la ville. Une rumeur de gyrophare s’éleva même au loin, comme pour faire admettre aux habitants de Kupchino l’état de justice locale, de vengeance personnelle, l’état d’un ordre maintenu par la seule force d’armes sorties des armoires. Avant même que le silence ne soit retombé, le révolver émit le typique cliquetis métallique d’une arme chargée. Et, alors seulement, le silence se fit, pesant et envoûtant, comme une mélodie infantile qui, même sans valeur réelle, ne s’éteint jamais.

« Effraction, soupira la silhouette. » A cet instant, son souffle fût si rauque qu’on l’eut davantage prêté à un monstre, ou à une quelque créature, plutôt qu’à un homme. Et c’était peut être fondé après tout.

Enfin, le corps harnaché par l’abattement, Sevastjan se découpa tout à fait dans l’obscurité, à la mesure, en soi, de ce qu’il s’approcha d’une Ielena toujours tenue en respect par le canon de son arme. Sous la vague lumière pénétrant dans l’appartement, c’était tout juste s’il était possible de distinguer son visage et, par là, la profondeur et la sincérité de ses sentiments. Si, en temps normal, il ne lui aurait fait aucun mal, quelque chose sonnait terriblement faux en cette nuit providentielle. Et, d’ailleurs, s’il n’était pas mort… alors quoi ?
Avant même que la situation s’assouplisse le moins du monde, un grondement pareil à celui du tonnerre retentit dans l’appartement. L’obscurité s’ajoutant, le tout donna bientôt une sensation de guet-apens propice à tous les règlements de comptes. En vérité, l’angoisse aurait tout à fait eu sa place… si Sevastjan ne s’était pas - contre toute attente et surtout contre toute la logique des compétences qui l’animaient - mit à rire. D’un rire franc. D’un rire presque innocent. Et pourtant froid. Froid comme la mort. Un rire sans joie. Une sorte d’hoquettement dans la nuit que l’on préfère prendre pour un rire de crainte que ça ne soit autre chose, une chose plus inquiétante. Comme l’hystérie d’un psychotique…

Il fallut une longue poignée de secondes pour entendre ce rire de dément s‘étouffer dans sa gorge, comme on ravale les fluctuations d’une nausée. « Magdalena, lâcha-t-il après un moment, un étrange rictus vissé aux lèvres. » Là où il se trouvait, il était délicat d’en percevoir davantage. Sa mâchoire se dégageait de l’obscurité, la lèvre en sang, tandis que son bras ne semblait jamais se résoudre à s’abaisser. Il ne donna pas l’impression d’avoir reconnu Ielena. En vérité, il donnait tout juste l’impression d’être lui-même.
Quoi qu’il se fût passé, c’était la seule chose capable de prévoir - et d’expliquer - ce qu’il allait se passer.
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Ielena Kuznetsova

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« Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Vide
MessageSujet: Re: « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena   « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Icon_minitimeMer 30 Juin - 1:24



    Le sol était jonché de déchets, et une odeur âcre d’humanité planait, lourde des exhalaisons fétides qui hantaient les lieux. L’espace se trouvait envahi par des piles de dossiers qui s’entassaient, recouvrant entièrement le bureau vacillant quand d’autres reposaient à même le sol ; il y en avait partout, de la chambre au petit salon, et jusque sur le vieux téléviseur. Le cœur battant à tout rompre, Ielena se mouvait en silence, se frayant un chemin parmi les montagnes de documents en prenant soin de ne rien déplacer. Elle se coulait d’ombre en ombre, silhouette évanescente qui semblait glisser plus qu’elle ne marchait, et au fur et à mesure qu’elle progressait, elle sentait s’épaissir la toile invisible faite de silence et d’angoisse qui l’entourait. Elle fit courir ses doigts sur le mur lisse et froid tandis qu’elle s’avançait vers le vieux fauteuil rapiécé. Celui-ci devait déjà appartenir aux parents de Sevastjan du temps où ils habitaient l’espace confiné de ce petit appartement délabré, de même que l’antique lampe qui reposait sur un tabouret, à sa droite. Lorsque Sevastjan était revenu vivre dans l’immeuble où il avait grandi, il avait retrouvé l’endroit tel qu’il l’avait connu. Il n’avait à vrai dire apporté que très peu de changements au mobilier, indifférent qu’il était à l’aménagement de son intérieur et à toute notion de décoration, et avait tenu à conserver les quelques biens ayant appartenus aux Razcynski comme autant de trophées maudits qui donnaient corps aux stigmates et aux souvenirs de son enfance misérable.

    La gorge nouée, Ielena promenait son regard alentours, s’attendant à découvrir derrière chaque meuble le corps sans vie de son protecteur. Le sang lui cognait aux oreilles. Arrivait-elle trop tard ? L’éventualité qu’il put y avoir quelqu’un d’autre dans l’appartement, ce quelqu’un même qui avait cherché à éliminer l’ancien agent du FSB, l’avait à peine effleurée, car ce n’était pas tant la conscience du danger qu’elle encourait à déambuler ainsi dans un appartement où venaient d’être tirés des coups de feu qui l’exhortait à tant de précaution, mais bien la peur dévorante de découvrir son ami et bienfaiteur baignant dans son sang, le corps criblé de balles. Elle avançait d’un pas feutré, silencieuse et défiante, et il lui fallait lutter pour ne pas se laisser gagner par la terreur que son imagination avait éveillée en elle. Elle avançait, très lentement, mais quelque chose en son for intérieur la retenait, comme si tout en elle cherchait à repousser la terrible échéance.

    Le métal froid d’un canon vint effleurer sa tempe, obligeant la belle visiteuse à interrompre son errance, et Ielena sentit alors son sang se figer. Elle n’osait plus bouger, consciente qu’elle était que le moindre mouvement pourrait signer sa perte. Désarmée et par conséquent, totalement impuissante, elle n’avait d’autre choix que d’obéir à celui qui la tenait en joue. Le canon l’astreignait à regarder droit devant, si bien que d’où il se tenait, son mystérieux agresseur se trouvait hors de son champ de vision. Aussi, quand l’arme à feu émit le cliquetis typique d’un revolver qu’on arme, la jeune Kuznetsova déglutit avec quelque peine, se forçant à une lente et profonde respiration pour calmer le rythme effréné de son cœur. Elle demeurait immobile et silencieuse, tenaillée par le vertige de la peur, ce nœud au creux de l’estomac qui lui criait que cette fois, elle ne pourrait en réchapper.

    Un frisson glacé parcourut son échine lorsqu’un murmure, si rauque qu’il semblait provenir de quelque animal blessé, vint fendre les opaques ténèbres de la nuit. Ce n’était qu’un chuchotement, un soupir même qui n’avait fait qu’effleurer le silence, mais Ielena eut l’intuition - plus que la conviction - que ce souffle, ce timbre si particulier, ne pouvait appartenir qu’au ténébreux Sevastjan, et elle en éprouva aussitôt un immense soulagement. Son agresseur s’approcha doucement, s’arrachant ainsi à l’obscurité dans laquelle il était resté dissimulé jusque-là, et elle se surprit alors à reconnaître le poivré de sa peau et la chaleur qui irradiait de son corps. « Sevastjan », soupira-t-elle doucement dans un murmure inaudible, les paupières closes. Il ne desserra pas les lèvres, pas plus qu’il ne baissa son arme. Elle pouvait percevoir la brûlure de son regard sur sa nuque, un regard froid et impassible qui coulait sur elle, inaccessible à la pitié.

    Debout au milieu du petit salon en désordre, elle avait peine à comprendre comment ils avaient pu en arriver là, elle, vulgaire criminelle réduite à user de ses talents de voleuse pour s’introduire chez son ami, le seul qu’elle ait jamais eu, quand Sevastjan, son sauveur, son protecteur, pointait une arme sur sa tempe. Elle eut un petit rire triste. La crainte qu’elle éprouvait un peu plus tôt s’était évanouie pour laisser place à une peine sincère empreinte de douceur et d’empathie. Bien sûr, elle restait vigilante, tous ses sens exacerbés sous l’adrénaline qui coulait dans ses veines, seulement elle avait l’intime conviction que Sevastjan ne lui ferait jamais sciemment le moindre mal. Il était tout ce qu’il lui restait, tout ce en quoi elle croyait encore, et peu importe ce qu’il avait pu faire par le passé, elle avait foi en lui comme un croyant en son Evangile. Une confiance aveugle, absurde et insensée, que rien ni personne n’aurait pu venir ébranler.

    Le temps battait sa pulsation molle. Rien ne bougeait alentour, pas un bruit, pas un corps, seulement le silence et l’immobilité, comme si le monde entier retenait son souffle. Et puis, le mutisme angoissant dans lequel ils s’étaient enveloppés fut troublé par un grondement assourdissant qui se répercuta dans l’appartement jusqu’à faire vibrer les murs de l’immeuble tout entier. Ielena, qui avait sursauté, dirigea toute son attention en direction de l’entrée, s’attendant à voir la porte voler en éclat pour laisser apparaître quelque mafioso armé jusqu’au poing. Un rire infernal envahit le petit salon comme une vapeur nocive, empoignant l’air qu’elle respirait. Un rire dément, froid et sinistre, reflet d’une âme de malheur faite de ténèbres. Quand il cessa enfin, ce ne fut que pour permettre à Sevastjan d’identifier le responsable d’un tel vacarme.

    Magdalena ?... Ielena voulut se tourner vers l’ancien agent du FSB pour l’interroger du regard, mais celui-ci maintenait toujours le canon de son arme contre sa tempe. Mais que diable faisait donc cette pauvre femme avec une arme à feu ? Elle ne pouvait pas rester là, c’était bien trop dangereux.

    - Laisse-moi aller lui parler, risqua la jeune captive sur un ton qui se voulait persuasif sans être pressant néanmoins. Je vais lui dire de partir.

    Sa voix, douce et délicate, avait glissé sur le silence dans la nuit comme un ruban de soie. Il y avait dans ses manières comme dans sa façon de se mouvoir une grâce certaine, un charme suranné qui rappelait et la douceur d’une mère et la tendresse d’une amante.

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Sevastjan Raczynski

Sevastjan Raczynski

▬ COPYRIGHT : © BURNING SWORD
▬ JOB : ancien agent du FSB
▬ CURRENT MOOD : deadly mind
▬ CURRENT MUSIC : ain't no sunshine (anytimes she goes away) • bill withers


will you ever see another sunrise ?
▬ AGE DU PERSONNAGE : trente-cinq ans
▬ QUARTIER D'HABITATION : Kupchino
▬ IF YOU PLAY, YOU PLAY FOR KEEPS :

« Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Vide
MessageSujet: Re: « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena   « Bel oiseau du Paradis, joue plutôt aux jeux interdits. » | Ielena Icon_minitimeDim 4 Juil - 17:56

Celle qu’il tenait en joug, Sevastjan la connaissait mieux qu’il ne se connaissait lui-même - et, sans doute, mieux qu’elle ne se connaissait elle-même. Il l’avait vue grandir, il l’avait vu emprunter de tortueux sillages. Parfois, il lui avait donné la main. D’autres fois, il s’était contenté de demeurer à ses côtés, ou dans ses pas, comme son ombre. Il ne l’avait plus quittée depuis qu’elle était une enfant, depuis qu’elle était entrée chez lui exactement comme elle avait pénétré son cœur. Comme une évidence, tout comme une menace. Et il l’avait aimée, de l’affection qu’on jumelle à la pitié jusqu’à la plus naturelle tendresse d’un frère pour sa jeune sœur. S’il avait osé, un jour, croire qu’il en ferait autrement, les dieux semblaient s’être acharnés à faire d’elle sa continuation, son double - et plus vulgairement son alter ego. De tout ce qu’il avait vécu, elle avait toujours été là. Elle ne l’avait jamais quitté. Lui l’avait laissée. Longtemps. Mais, à son retour, elle était là, tout comme une femme qui, même menacée par le veuvage attend ce mari parti en guerre.
Oui, Sevastjan ne connaissait que trop bien Ielena. Il ne l’aimait que trop. Il ne lui aurait fait aucun mal. Aussi naquit tout le symbole de la tenir ainsi en respect, à distance.

Et le silence s’était fait, acide et aigu, comme le sifflement du couperet qui s’abat. Et ce jusqu’à ce que la jeune femme daigna briser cette religion. «  Je vais lui dire de partir, avait-elle finalement soufflé en parlant de Magdalena. » Froidement, encore, Sevastjan s’était mis à rire. « Tu sais ce qui est si drôle ? demanda-t-il comme si cela avait de l’importance. C’est que je me suis fait exactement la même réflexion à ton sujet. »
Enfin, pesant comme le sentiment de mort qui s’insinuait en lui depuis des semaines, le soupir rauque - qui rompit cette sordide hystérie - lui fit baisser son arme d’abattement. Il passa devant elle et, dans le clair obscur de cet appartement au goût de misère abusive, vint s’affaler dans le fauteuil défoncé, celui-là même qui épousa parfaitement son assise à force d’avoir été sollicité avec tant de nonchalance.

Frottant sa tempe du canon de son révolver, Sevastjan eut un nouveau soupir tandis que, sans jamais la regarder, il entrouvrit les lèvres pour donner à cette entrevue mystique la substance à laquelle elle ne pouvait pourtant prétendre. « Que viens-tu faire ici ? »
On aurait cru le père de Sevastjan des années avant lui, tanné de sa journée de labeur et de trafics, à se voir - avec cela ! - exaspérer par les tentatives d’incursion de son fils dans les schémas familiaux attendus. Tout aussi morne. Tout aussi morne. Fatigué d’une existence insipide à courir après les chimères de la réussite, ou seulement du répit. A vouloir vaincre la malédiction Raczynski, les efforts semblaient en accroître les néfastes effets. Aussi, et tout comme on s’enlise dans les sables mouvants, il était de bon ton de baisser sa garde, de rendre les armes et de se laisser doucement dévorer jusqu’à la mort vienne prendre l’âme pour ne laisser qu’un corps en souvenir et en tombeau, en symbole et en totem d’une déchéance inévitable.
Quel répugnant tombeau, alors, que le corps de Sevastjan.

« Tu perds ton temps, Ielena, soupira-t-il encore, sans qu’on n’eut pu savoir si son regard était venu chercher celui de la jeune femme. Il n’y a rien à dérober ici. Rien qui ait de la valeur. Même mon âme je l’ai déjà vendue, sourit-il avec cynisme. » Il sembla vouloir se redresser mais, son index frôlant dangereusement la gâchette, il réprima l’attitude et, probablement, sauva sa vie. Enfin, il grogna. « Si les pauvres en sont finalement réduits à voler d’autres pauvres… »

Le flic passionné contre la lady cambrioleuse. L’histoire de leurs vies. De leur vie. Sans conventions. Sans protocoles. Ce simple sentiment d’être des ennemis de sang et, par là, d’être incapable de tuer l’autre sans se donner, ainsi, la mort. Non, certes, Sevastjan ne lui voulait aucun mal. Mais il lui avait fallu faire un long chemin pour se sentir, à son tour, du côté obscur de la misère. Celle qui forge le délit. Et le crime. S’il ignorait ce qui l’avait prédestiné à se ranger aux idéaux de Loi et d’Ordre, il gardait à l’esprit que tout cela avait été bien vain.
La Justice était ingrate. L’Humain était ingrat. Et le Justicier plus encore.

La première chose que Sevastjan avait appris en tant qu’agent de police, c’était bien qu’il devait rien attendre en retour de ses actes. L’idée même d’obtenir la moindre reconnaissance ne devait jamais lui effleurer l’esprit. Nombre d’excellents policiers, disait-on, avaient désespéré de ce genre d’utopies jusqu’à finir, dans le non-sens de l’existence (qui ne résulte que de cet incessant besoin qu’a l’Homme d’être reconnu par un autre), par se donner la mort, par mettre un terme à une vie qui, si conformément utile avait-elle semblé à donner, n’avait été qu’une sorte de régression implacable de l’Humanité. Il n’y avait rien à espérer d’une telle vocation si ce n’était, à titre personnel, d’appartenir à une communauté fondée sur des principes d’honneur, de sincérité et de confiance. Le lieu commun de la naïve justice. Le joyeux manuel du parfait petit policier.
Autant de conneries, donc, qui ne sauvaient aucune existence, sinon celle de la candeur.

Et il avait embrassé la solitude. Il l’avait étreinte, tout comme le danger, la pauvreté et l’indifférence. Il avait aimé ce métier comme une putain. Jour après jour. Nuit après nuit. Jusqu’à ce qu’elle lui ait tout pris. Jusqu’à devoir l’accabler de tous ses maux avant de reconnaître, péniblement, qu’il en était l’unique responsable. Il avait eu le choix. Il l’avait fait. Il aurait tout aussi bien pu coller une balle dans la tête de n’importe quel des gamins de son quartier et devenir une petite frappe au service de la mafia. Il aurait pu, mais ne l’avait pas fait. Il avait choisi l’abnégation et le sacrifice. Il l’avait bel et bien choisi.
Et c’était ça, crever en Juste, pensa-t-il que trop sereinement, étouffé par le cynisme. En tous les cas, c’était ce que prétendait le livre le plus vendu de tous les temps : la sacro-sainte Bible qu’il avait mis au feu le jour de la mort de son père.
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